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« Choisis donc la vie ! » (Dt 30,19) J’ai cru un temps, au début de ma vie monastique, que l’obéissance, c’est ne pas choisir : prendre ce qui m’est donné, prendre la part qui vient, ne pas choisir pour ne pas suivre ma volonté propre. J’ai découvert peu à peu que contrairement à ce que je pensais il n’y a pas deux voies : ou bien je fais ce que je dois, ou bien je fais ce que j’ai envie (et heureusement tout de même, parfois les deux concordent !), mais trois. Il y a la voie de l’obligation (je dois, je n’ai pas le choix), celle des émotions (envies, honte, peurs, colère…), et une troisième : celle de la décision, de la vraie liberté, de l’amour. En fait, les deux premières ne sont pas vraiment des « voies », plutôt des impasses ; pas sûr non plus qu’elles soient deux : bien souvent elles se renvoient l’une sur l’autre, en cercle mortifère. La seule vraie voie, celle sur laquelle on peut avancer, et qui rend heureux, c’est la troisième ; mais elle est plus difficile à trouver. Les deux premières s’imposent à moi, me tirent (en tous sens !) mais la troisième, c’est à moi de la trouver, de l’inventer, d’y avancer. Quand j’ai commencé à comprendre tout ça, c’est la parole du Deutéronome : « Choisis donc la vie ! » qui m’est venue à l’esprit pour résumer cette découverte. Oui, Dieu m’appelle à choisir, à choisir la vie : à ne pas me laisser balloter au gré des émotions ; à ne pas non plus me laisser enfermer dans le fatalisme des obligations supposées et/ou subies, ni dans les cadres de principes absolutisés, ni dans l’horizon étroit de mes petites idées ou projets. « Choisis donc la vie ! » C’est un appel à engager mon énergie, mon imagination, mon intelligence, ma sensibilité dans la vie ici et maintenant, à répondre aux sollicitations des évènements, des personnes, de la Parole de Dieu ; un appel à aimer. C’est choisir la pomme qui est au menu aujourd’hui (balayer les « bien obligé, il n’y a rien d’autre » ou « j’aurais préféré une orange »), goûter selon sa variété, sa couleur, sa forme, son odeur, sa saveur, et peut-être choisir de la déguster en cubes dans la salade d’endives… C’est aussi, quand le moral baisse, quand je commence à ruminer mes contrariétés, reconnaître les fardeaux d’émotions et d’obligations qui me font tourner en rond, et prendre de la hauteur pour rechercher la troisième voie. C’est revenir à ma liberté, à mon désir profond, au sens (orientation et signification) que je veux donner à ma vie, c’est faire les choix et les renoncements nécessaires pour me remettre en route, pour ouvrir grande ma vie aux autres, à Dieu, et avancer joyeuse. Soeur Anne-Joseph |
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« Tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.» (Mc 10,46-52) Jéricho est sans doute la ville la plus ancienne au monde. Elle est en tout cas la plus basse en altitude. Elle est une magnifique oasis dans le désert de Judée et, dans des temps très anciens, on y adorait les astres. Par tous ces aspects, nous pouvons considérer Jéricho comme une image de notre monde, plongé depuis fort longtemps dans les profondeurs de l’idolâtrie, monde pourtant si attirant, comme Jéricho par ses bougainvillées, ses agrumes et ses fruits, mais voisinant avec les rives desséchées de la mer morte. Et comme Jéricho, notre monde adore bien souvent la lune, c’est-à-dire la créature plutôt que le Créateur. D’ailleurs, Jésus ne séjourne jamais à Jéricho. Il n’y entre que pour en sortir ou plus exactement pour en faire sortir la foule, comme dans l’évangile que nous venons d’entendre. L’aveugle Bartimée lui-même est déjà hors de la ville mais il est au bord du chemin, mendiant sans doute quelques pièces de monnaie mais mendiant bien davantage la présence de quelqu’un qui pourrait le faire sortir de l’obscurité dans laquelle il est enfermé. De ce point de vue, Bartimée représente chacun de nous, englué dans les profondeurs de l’idolâtrie, mais désirant dans le fond de son cœur recouvrer la vue. Et voici qu’au bruit de la foule, Bartimée pressent en Jésus celui qui pourra le sauver : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Si le Fils de Dieu est devenu fils de David, c’est bien pour que nous puissions le rejoindre au plus profond de notre humanité. Et voilà un bel enseignement qui nous est donné sur la prière : qui que nous soyons et quelle que soit notre situation, même la plus noire, nous pouvons en toute circonstance nous tourner vers Jésus : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Prière qui doit se faire persévérante, à l’exemple de celle de Bartimée qui crie de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Il est vrai qu’il nous est difficile de nous reconnaître aveugles, tant nous pensons que nos yeux de chair nous laissent découvrir les réalités spirituelles. Il n’en est rien et c’est la raison pour laquelle Jésus fait préciser à Bartimée quel est son désir : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » La réponse jaillit spontanément : « Rabbouni, que je voie ! » Il ne s’agit pas seulement de guérison physique mais aussi de guérison spirituelle : reconnaître en Jésus Celui qui peut nous faire sortir de notre aveuglement pour nous faire voir avec les yeux de la foi. « Fils de David ! Aie pitié de moi ! »… « Rabbouni, que je voie ! » Il faut nous installer dans l’invocation non pour notre confort mais pour pouvoir progresser sur le chemin de la foi. Il nous faut, comme Bartimée, nous accrocher avec persévérance à la prière, tant il est vrai que nous ne pouvons pas nous sortir par nous-mêmes de notre aveuglement foncier. Si chaque jour nous prions avec foi comme Bartimée, le Seigneur peu à peu transformera nos cœurs et nous fera marcher à sa suite sur le chemin qui mène de Jéricho à la Jérusalem céleste. Père Jean-François Baudoz |
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« Vanité des vanités, disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité ! » (Qo I,2) « Vanité des vanités, tout est vanité », dit Qohèleth. N’allons même pas comprendre que tout ne serait qu’orgueil ou satisfaction de soi. La réalité est autrement plus banale aux yeux du sage : tout est littéralement « buée » ou « vapeur ». Tu travailles pour amasser des biens, te voilà riche ; et soudain tu meurs et tu retournes à la poussière. Ta vie est comme une buée sur la vitre de la fenêtre et dans ce cas tu peux même te considérer comme un bienheureux car ta vie peut aussi être un cauchemar. Quelle récompense l’homme tire-t-il de toute la peine qu’il prend ? Rien de nouveau sous le soleil : hier comme aujourd’hui, les héritiers sont à l’affût ; ils s’entredéchirent sans se rendre compte que c’est pour du vent : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ! » Pour survivre, faut-il vivre désabusé, comme semble l’être Qohélet, ce sage de la Bible ? Et donc profiter de l’instant présent sans trop spéculer sur l’avenir ? Carpe diem, disaient aussi les Epicuriens. Un peu comme cet homme que l’évangile d’aujourd’hui vient d’appeler un insensé parce qu’il se dit en lui-même : « Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence ». Comprenons bien ! Si cet homme est traité de fou, ce n’est pas parce qu’il aspire à se reposer, à boire et à manger. Ce sont là des activités humaines tout à fait normales, que Jésus lui-même n’a pas méprisées. Si cet homme est insensé, c’est parce qu’il ne cherche qu’à jouir de la vie sans voir plus loin que le bout de son nez. « Regardez les lys des champs », dit Jésus qui est lui aussi un sage. Comprenons : « Captez l’instant présent non pas en jouissant de cet instant pour lui-même mais en saisissant le poids de grâce qu’il vous offre ! » A l’absurdité d’une sagesse qui ne serait qu’humaine, Jésus oppose la grâce de Dieu. C’est cette grâce qui nous enveloppe à chaque instant depuis que, par notre baptême dans la mort et la Résurrection du Christ, nous avons revêtu l’homme nouveau. « Vanité des vanités » mais aussi « grâce des grâces » car tout instant vaut son poids d’éternité. La vie de celui qui ne profite que du moment présent est fondamentalement la même que celle de celui qui vit dans l’espérance. La différence ne dépend que du sens que l’on donne à la vie humaine : tout est absurde ou tout est plénitude de grâce. Nous qui sommes les disciples du Christ, nous avons décidé de vivre dans l’espérance et de nous laisser façonner par la grâce. Chaque matin, « un jour nouveau commence » et, dans la foi, il est illuminé par la Résurrection du Christ. Chaque soir, la nuit qui vient nous rappelle que notre vie est cachée en Christ. L’opposé de l’absurdité, c’est la grâce de Dieu. A vue humaine, il est bien vrai que tout n’est que vent et fumée. A vue divine, nous sommes ressuscités avec le Christ et c’est la raison pour laquelle l’Apôtre Paul nous invite à « rechercher les réalités d’en haut ». Non pas en nous évadant de ce monde puisque chaque instant vaut son poids d’éternité mais en vivant selon la grâce : c’est dans la banalité du quotidien que nous sommes les disciples du Christ mort et Ressuscité, qui nous appelle à vivre avec lui. La vraie valeur d’une vie ne se mesure pas aux richesses accumulées et entassées, puisqu’un jour il faudra bien les laisser. Nous n’avons le droit d’être riches qu’en vue de Dieu, c’est-à-dire en nous ouvrant aux autres qui nous sont donnés comme des frères et des sœurs à aimer et en nous ouvrant à l’Autre, c’est-à-dire à Dieu de qui nous fait entrer dans la vie éternelle. Apprenons à devenir des pauvres en esprit, c’est-à-dire des riches en vue de Dieu. Père Jean-François Baudoz (Homélie pour le 18ème dimanche ordinaire C) |
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« Alors, le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux » (Mt 25,1) Au commencement de l’histoire, il y a dix jeunes filles que rien ne distingue les unes des autres. Toutes sont invitées aux mêmes noces et toutes prennent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux. Sans que nous en connaissions la raison, l’époux tarde à venir. Toutes s’endorment, les prévoyantes aussi bien que les insensées. Jusque-là, les dix jeunes filles vivent dans une égalité que rien ne semble devoir détruire. Mais le cri qui retentit au milieu de la nuit va bouleverser ce bel équilibre : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre ! » Une séparation va s’opérer entre les prévoyantes qui avaient emporté avec elles des flacons d’huile et les insouciantes qui n’en avaient pas avec elles. L’époux ne fait aucun reproche aux jeunes filles imprévoyantes mais elles trouvent close la porte de la salle des noces quand elles reviennent après être allées acheter de l’huile chez les marchands. Faut-il alors nous scandaliser de l’égoïsme des jeunes filles prévoyantes qui ont refusé de partager leur huile avec celles qui en manquent ? Ce n’est pas en tout cas le but de la parabole. Pour le comprendre, remarquons justement que cette huile ne peut pas être prêtée pour être partagée. Elle est manifestement quelque chose de très personnel à la manière du désir. Aucun être humain ne peut désirer à la place d’un autre être humain et aucun disciple du Christ ne peut désirer à la place d’un autre disciple du Christ. Les jeunes filles munies de flacons d’huile sont celles qui entretiennent en elles le désir de l’époux alors que les imprévoyantes sont celles qui se laissent disperser par de multiples convoitises, au point de courir les magasins pour faire des provisions devenues inutiles au moment décisif. C’est la qualité de leur désir qui fait la différence entre les jeunes filles prévoyantes et les jeunes filles insouciantes : « J’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné » (Ap 2,4). Pour entrer dans la salle des noces, il est nécessaire d’avoir un cœur simple et unifié, un cœur capable de saisir l’essentiel et de reléguer le secondaire. Le détachement évangélique n’est pas indifférence envers les nécessités de la vie mais concentration sur la présence de Celui qui nous fait donner au quotidien son poids d’éternité. « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » Père Jean-François Baudoz (Homélie pour la fête de Ste Thérèse Bénédicte de la Croix / Edith Stein - Evangile : Mt 25, 1-13) |
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Du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.” Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. » (Lc 12, 13-21) L’évangile d’aujourd’hui nous invite à nous poser la question : qu’est-ce que la vraie vie ? On pourrait dire, de manière quelque peu caricaturale, qu’il y a deux parts en toute vie humaine. Vivre, c’est d’abord se nourrir, se vêtir, se loger, subvenir à ses besoins et y travailler. C’est le niveau minimal de la vie, indispensable et cependant limité. Car une vie qui ne serait que cela, « ce n’est pas une vie », comme le dit la sagesse populaire. C’est qu’il y a en toute vie humaine une part plus noble et plus profonde. Vivre, c’est faire sortir de soi tout ce qui demande à naître, c’est créer, c’est communiquer, c’est recevoir et donner. La vraie vie, c’est la joie d’un amour réussi, c’est la joie du service fraternel, c’est la joie du pardon donné et reçu. Réduire la vie à la recherche de ses propres moyens d’existence, réduire la vie à n’être qu’une convoitise d’argent et de possessions, c’est la pervertir. Comme le dit en effet le Psaume : « Ton amour vaut mieux que la vie. » Bien sûr, vivre matériellement est une nécessité. Il n’est pas question de renoncer à manger et à boire mais bien plutôt de renoncer à toute fausse sécurité. « La vie d’un homme, fût-il dans l’abondance, ne dépend pas de ses richesses. » C’est une ligne constante dans la Bible : les biens nécessaires à la vraie vie ne se mettent pas de côté, comme on met de l’argent de côté. Il s’agit d’être « riche en vue de Dieu », c’est-à-dire de nous enrichir de ce que nous donnons. Le propos est paradoxal mais vrai : ne subsistera dans la vie éternelle que ce que nous aurons semé en don et pardon, en largesse et en miséricorde, à l’image du Christ, qui s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. Père Jean-François Baudoz |
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