ETIENNE HARDING | ||
"Ils se mirent à construire un monastère"
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Nous, premiers cisterciens, fondateurs de cette église, nous faisons connaître par le présent écrit à nos successeurs avec quelle conformité canonique, sous quelle haute autorité, mais aussi par le fait de quelles personnes et en quels temps, leur monastère et leur genre de vie débutèrent, afin que, l'entière vérité sur cette affaire étant publiée, ils aiment plus fortement ce lieu et l'observance de la sainte règle que, par la grâce de Dieu, nous y avons en tout cas commencée ; afin aussi qu'ils prient pour nous qui avons supporté sans nous lasser le poids du jour et la chaleur, et qu'ils se dépensent jusqu'au dernier souffle dans la voie resserrée, étroite, que montre la règle, de sorte qu'après avoir déposé le fardeau de la chair, ils goûtent le bonheur de l'éternel repos. * L'an de l'Incarnation du Seigneur 1098, Robert d'heureuse mémoire, premier abbé de l'église de Molesme fondée au diocèse de Langres, et certains frères du même monastère, vinrent trouver le vénérable Hugues, alors légat du siège apostolique et archevêque de l'église de Lyon, promettant d'organiser leur vie de manière à observer la sainte règle de leur père Benoît, et pour exécuter cela plus librement, ils lui demandèrent très instamment de les soutenir de toute la force de son autorité apostolique. Cet illustre légat, accueillant avec joie et faveur leurs désirs, rédigea une lettre par laquelle il jetait les fondements de leur entreprise. * Après cela, l'abbé susdit et les siens, forts d'une telle autorité, revinrent à Molesme et dans cette communuaté religieuse de frères ils choisirent des compagnons désireux de vivre selon la règle, de sorte qu'en rassemblant ceux qui avaient parlé au légat de Lyon, et ceux qui furent appelés du monastère, ils furent vingt et un moines ; et c'est en compagnie serrée qu'ils se dirigèrent avec ardeur vers une solitude appelée Cîteaux. L'endroit, situé dans le diocèse de Chalon et non fréquenté par les hommes en raison de l'épaisseur de la forêt et des d'épines qu'il y avait à l'époque, n'était habité que par les bêtes sauvages. Lorsque les hommes de Dieu y parvinrent, comprenant que ce lieu convenait d'autant plus au style de vie religieuse dont ils venaient de concevoir l'idée et à cause duquel ils en étaient arrivés là, qu'il semblait plus méprisable et inaccessible aux gens du monde, ils coupèrent et dégagèrent un grand nombre d'arbres et d'épines, et, avec l'assentiment de l'évêque de Chalon et l'accord du propriétaire du lieu, ils se mirent à construire là-même un monastère. Etienne Harding - Petit Exorde (prologue, I et III) |
ETIENNE HARDING (avant 1066 - 1134)
Anglais, il entra très jeune chez les bénédictins de Sherborne, mais quitta ensuite la vie monastique pour étudier en Ecosse, puis en France.
Après un pélerinage à Rome, il se fixa au monastère de Molesme, près de Langres, que l'abbé Robert venait de fonder.
Etienne fit partie du groupe de 21 moines qui sortit de Molesme avec Robert en 1098 pour fonder Cîteaux.
Il succèda à Albéric en 1107 comme troisième abbé du nouveau monastère.
Soucieux d'affermir la "réforme", il fut l'inspirateur de la Charte de charité, statut fondamental de l'Ordre. Il est aussi l'auteur principal du Petit Exorde qui raconte l'histoire des commencements de Cîteaux. |
JEAN DE FORD | ||
"Ecoute, Eglise de Dieu"
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Ecoute, Eglise de Dieu, écoute, prête l'oreille, car c'est à toi que l'on parle, et toi seule es dotée d'une oreille pour entendre. Ecoute, dis-je, quelle Majesté t'a aimée, et depuis combien longtemps elle t'a aimée, et avec quelle gratuité elle t'a aimée, et à quel point elle t'a aimée. A tout cet amour, il te faut répondre de toute ta force ; fais attention à la façon dont tu réponds. Il est grand, par delà toute extrême, Celui qui t'aime, et tu ne peux, indigne assurément de cet amour, payer de retour une telle considération. Mais acquitte-toi du peu que tu possèdes : oui, vraiment, de tout ce que tu peux et de tout ce que tu es ; et cela lui suffit. En effet, il ne réclame pas ton amour en vue de tirer profit de toi, puique, comparé à son amour, le tien est comme la goutte d'un seau. Et quand bien même il pourrait être un fleuve, tous les fleuves se jettent dans la mer, et la mer ne débordera pas. Du reste, il est tout à fait à ton avantage, ayant reversé dans sa plénitude tout ce que tu as d'amour, de revendiquer pour toi, en retour de la part limitée qui est la tienne, toute la plénitude, et d'être établie sur tous les biens de ton Seigneur ... Dieu t'a donc aimée depuis l'éternité ; toi, dorénavant, aime-le et pour toujours. Pour lui, aimer n'a pas eu de commencement : que pour toi aimer ne trouve pas de fin. Jean de Ford - Sermon 13,6 sur le Cantique |
JEAN DE FORD (vers 1145 - vers 1214)
Né dans le Devonshire (Angleterre), il entra à l'abbaye cistercienne de Ford, fondée une dizaine d'années plus tôt. Il fut le secrétaire de Baudouin qu'il accompagna plusieurs fois au chapitre général de Cîteaux, et par la suite devint son prieur. En 1186, il fut désigné comme abbé de Bindon, monastère fondé par Ford en 1172. Il sera élu abbé de Ford en 1192.
Au cours des dix dernières années de sa vie, il travailla à l'achèvement du commentaire sur le Cantique commencé par Bernard de Clairvaux et poursuivi par Gilbert de Hoyland. Rédigés dans un style très personnel, ces 120 sermons sont d'une grande richesse spirituelle. |
HELINAND DE FROIDMONT | ||
"La bonté du temps"
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" Le sabbat, dit dans l'Evangile celui qui est la Vérité, a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat." Si le sabbat est fait pour l'homme, tout autre jour l'est également. Les autres jours sont faits pour le travail de l'homme, mais le sabbat est pour son repos. Si donc le temps a été fait pour l'homme, c'est en fonction de la méchanceté ou de la bonté de l'homme que le temps doit être évalué mauvais ou bon. Le temps n'est bon pour l'homme qu'en tant qu'il rend l'homme bon. C'est ce que dit saint Jérôme dans son commentaire sur l'Ecclésisatique : "Pour l'homme, les vertus rendent les jours bons, et les vices les jours mauvais". Nous devons donc vivre, continue-t'il, de telle sorte que les jours présents soient meilleurs que les jours passés. De peur que, si nous venions à déchoir, ne nous soit rappelée cette parole de l'apôtre : " Vous courriez bien ; qui donc vous a empêchés d'obéir à la vérité ?" Et encore : "Après avoir commencé par l'esprit, vous finissez par la chair". Ce qui est bon pour l'homme, ce n'est pas l'abondance des biens temporels, mais plutôt celle des biens spirituels, telles la plénitude de la foi, une belle conduite. Cette bonté du temps, c'est le Fils de Dieu, né de la femme et soumis à la loi, qui nous l'apporte. Hélinand de Froidmont - 2ème sermon pour la Purification |
HELINAND DE FROIDMONT (vers 1160-1230)
Hélinand naquit dans le Beauvaisis où ses parents, d'origine flamande, s'étaient réfugiés. Poète, doué d'une belle voix, il mena la vie de trouvère. Touché par la grâce, il se convertit et entra à Froidmond, abbaye située au sud-est de Beauvais. Ses sermons expriment toute la beauté de la liturgie et sa grande dévotion à Marie. Il composa également les Vers de la mort, poème de 50 stophes qui connut un immense succès, ainsi que de petits traités et une chronique universelle. |
GEOFFROY D'AUXERRE |
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"Joie, vraiment"
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Ne possède-t'il pas tout, celui pour qui tout coopère au bien ? Ou bien, n'a t'il pas le centuple de tout, celui qui est rempli du saint Esprit, qui a le Christ en son coeur ? A moins que l'assistance de l'Esprit et la présence du Christ ne soient beaucoup plus que le centuple ! Quelle est grande, dit le psaume, l'abondance de ta douceur, Seigneur, que tu as cachée pour ceux qui te craignent, que tu as parfaite pour ceux qui espèrent en toi. Vois comment le souvenir de l'abondance de cette suavité jaillit de l'âme sainte, comment, brûlant de l'exprimer, elle multiplie les mots. Quelle est grande, dit elle, l'abondance ! Ce centuple est donc l'adoption filiale, la liberté et les prémices de l'Esprit, les délices de la charité, la gloire de la conscience, le royaume de Dieu au dedans de nous ; non pas en tout cas nourriture ou boisson, mais justice et paix et joie dans l'Esprit saint. Joie, vraiment, non seulement dans l'espérance de la gloire, mais même dans les tribulations. C'est le feu que le Christ a voulu voir intensément attisé. C'est la force venue d'en haut qui a fait qu'André a embrassé la croix, que Laurent s'est ri du bourreau, qu'Etienne, au moment de mourir, a fléchi les genoux, priant pour ceux qui le lapidaient. C'est cette paix que le Christ a laissée aux siens, quand il leur a donné aussi la sienne. Oui, vraiment, pour les élus de Dieu, il y a à la fois et le don et la paix : la paix présente, quoiqu'il en soit, et le don de celle à venir. La seconde surpasse tout ce qu'on peut concevoir, mais aussi, rien de ce qui plaît sous le soleil, rien de ce qui est convoité dans le monde, ne peut être comparé à la première. Elle est la grâce de la dévotion et l'onction qui instruit de toutes choses. Qui en a fait l'expérience la connaît, celui qui ne l'a pas faite l'ignore ; personne ne la connaît, sinon celui qui la reçoit. Geoffroy d'Auxerre - Entretien de Simon-Pierre avec Jésus, ch.58 |
GEOFFROY D'AUXERRE (12ème siècle)
Né à Auxerre, Geoffroy se trouvait à Paris en 1140 lorsque Bernard s'adressa aux clercs de la ville et il le suivit à Clairvaux avec une vingtaine de compagnons. A partir de 1145 il fut secrétaire de son abbé et l'accompagna dans ses voyages. Par la suite, il devint successivement abbé d'Igny (en 1157), de Fossa Nova (en 1170) et de Hautecombe (en 1186). On ignore la date de sa mort, mais il vivait encore en 1200.
Ses nombreux écrits (oeuvres historiques, théologiques, commentaires scripturaires, sermons) sont précieux pour ce qu'ils nous apprennent sur saint Bernard et sur la vie des premiers cisterciens. |
ALAIN DE LILLE | ||
"Nous le chercherons avec toi"
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Où s'en est allé ton bien-aimé, ô Marie, la plus belle des femmes ? Où s'est il écarté, que nous le cherchions avec toi ? Pourquoi le Christ est-il nommé le bien-aimé tout particulier de la Vierge, et pourquoi elle-même est-elle appelée la plus belle des femmes ? cela, nous l'avons déjà exposé. Mais remarque ce qui est dit : il s'en est allé. S'en aller, c'est aller plus loin. Il s'en va donc, quand il parait fort tarder à venir jusqu'à ceux qui le recherchent. Il s'écarte, lorsqu'il revient plus rapidement vers ceux qui sont en quête de lui. Mais s'il s'en va et s'écarte pour un temps, c'est afin de faire croître plus encore le désir de le chercher. D'autre part il est affirmé bien à propos que nous le chercherons avec toi, parce que qui cherche le Christ sans l'appui de cette Vierge glorieuse, risque de faire fausse route, il est incapable de progresser. Alain de Lille - Commentaire sur le Cantique |
ALAIN DE LILLE (vers 1115-1202)
Né à Lille, celui qui fut surnommé le Docteur universel à cause de l'étendue de son savoir, enseigna à Paris et à Montpellier. Ce n'est que vers la fin de sa vie que Maître Alain, à la fois philosophe, théologien, historien, orateur, poète et naturaliste, entra à Cîteaux, demandant à revêtir l'humble habit de convers. Ses oeuvres sont multiples. Parmi ce qui intéresse particulièrement la spiritualité, on relève : un commentaire du Cantique, plusieurs traités et de nombreux sermons. |