ADAM DE PERSEIGNE | ||
" Ton pain, c'est le Christ "
|
Partage ton pain avec ton ami qui mendie affamé ; tu feras vraiment preuve d'amitié, si tu rassasies de ton pain la faim de ton ami. Ton pain, c'est le Christ ; ton pain, c'est ta charité ; ton pain, c'est ta prière ; ton pain, c'est la componction des larmes qui efface non seulement tes fautes, mais encore celles de ton ami. C'est de ces pains-là que le saint Prophète se rassasiait jour et nuit ; il l'affirme lorsqu'il dit : "Mes larmes furent mon pain, le jour et la nuit". Assurément, plus il avait faim de se rassasier de ces pains, plus il devenait fort pour porter les fardeaux des autres. La réfection de ce pain céleste fortifie si bien le coeur de l'homme qu'il peut tenir bon dans les tribulations et qu'il décide, parce qu'aussi il en a la force, d'aider ses frères à porter leurs fardeaux. Certes, celui qui se nourrit de ces pains devient si fort, il est lesté d'un tel poids, que les pensées vaines et inutiles ne peuvent plus, je ne dis pas le renverser, mais difficilement l'émouvoir. Tandis, en effet, que l'âme au travail dans la vigne du Seigneur se réconforte et se rassasie du pain des Ecritures ou de celui des larmes, elle n'est ni poussée ni agitée par le souffle des diverses pensées. Ces pensées, du fait qu'elles sont vaines, ne peuvent faire dévier de sa ferme rectitude un esprit fortifié par l'habitude d'une telle nourriture. Adam de Perseigne - Lettre VII à Osmond |
ADAM DE PERSEIGNE (vers 1145 - 1221)
Né de famille serve, il fut d'abord chanoine régulier, puis bénédictin à Marmoutiers, avant d'entrer à l'abbaye cistercienne de Pontigny où il exerça la charge de maître des novices. En 1188 il devint abbé de Perseigne, près d'Alençon. Ses lettres, qui se présentent comme de petits traités de spiritualité, témoignent de son influence aussi bien dans le monde monastique qu'auprès des grands du siècle. Il a également composé des sermons de qualité. |
AELRED DE RIEVAULX | ||
"Préparons une demeure spirituelle"
|
Qui d'entre vous, si notre Seigneur revenait sur terre et se proposait de lui rendre visite, n'en éprouverait une joie immense et indicible ? Parce qu'il n'est plus corporellement sur terre, parce que nous ne pouvons plus l'accueillir en son corps, allons nousdire que nous devons à jamais désespérer de sa venue ? Non, frères, au contraire ! Préparons nos demeures, et notre Seigneur viendra vers nous sans aucun doute mieux qu'il ne l'aurait fait corporellement. Marthe et Marie furent certes heureuses de le recevoir en son corps, mais elles furent encore plus heureuses de l'avoir accueilli selon l'esprit, en leur âme. Beaucoup, en ce temps-là, le reçurent corporellement, bien des gens ont mangé et bu avec lui, mais ne l'ayant pas reçu en esprit, ils sont restés dans leur misère. Qui fut plus malheureux que Judas ? Il a pourtant servi le Seigneur corporellement. Je dirai davantage : la bienheureuse Vierge Marie elle-même fut comblée parce qu'elle reçut dans son corps le Fils de Dieu, mais son bonheur fut encore plus grand de l'avoir reçu selon l'esprit, en son âme. Je ne mens point, le Seigneur en personne le déclare. On lit dans l'évangile qu'une femme lui ayant dit : " Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins qui t'ont nourri ", il lui répondit : " Bien plus heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique ". Préparons donc, frères, une demeure spirituelle, afin que le Seigneur puisse venir en nous. Aelred de Rielvaulx - Sermon pour l'Assomption |
AELRED DE RIEVAULX (vers 1109 - 1166)
Anglais, né à Hexham, Aelred vécut d'abord à la cour du roi d'Ecosse, où il acquit une solide culture. Il devint sénéchal et c'est à l'occasion d'une mission auprès de l'archevêque d'York qu'il entra à Rievaulx. Il y remplira la charge de maître des novices, avant de devenir, en 1142, abbé de Revesby, puis, à partir de 1146, de Rievaulx. Ses nombreux écrits révèlent un maître spirituel. Le miroir de la charité, quand Jésus avait douze ans, l'amitié spirituelle, la vie de recluse, la prière pastorale, sont parmi les plus connus. Ses sermons forment une riche collection qui embrasse l'ensemble du cycle liturgique. |
BAUDOUIN DE FORD | ||
"Dieu nous a confié nos frères"
|
Nous devons aimer Dieu, non en parole ou de langue, comme l'ont aimé ceux dont il est écrit : ils l'ont aimé de bouche et de leur langue ils lui ont menti ; nous devons, dis-je, aimer Dieu de telle sorte que cet amour se manifeste en actes et en vérité. Dieu qui, en soi, n'a pas besoin de bienfaits, nous a pour ainsi dire confiés nos frères et nos proches qui, eux, en ont besoin, afin qu'ils reçoivent à sa place les bienfaits que nous devions lui rendre. Que personne donc ne se flatte d'aimer Dieu, que personne ne s'abuse en croyant aimer Dieu : il ne l'aime pas, s'il n'aime pas son prochain. Si l'homme, quel qu'il soit, n'a pas de quoi expérimenter et éprouver sa propre valeur, qu'il aime son prochain afin d'aimer aussi son Dieu. S'il n'aime pas son prochain qu'il voit, qu'il a sous les yeux, qui lui a été en quelque sorte confié par Dieu afin d'acquitter auprès de lui sa dette d'amour, comment peut-il prétendre aimer Dieu qu'il ne voit pas, qui ne se montre pas de façon immédiate et qui, de fait, ne manque de rien ? Car peut on rendre des bienfaits à Dieu si ce n'est en les rendant à celui-là en qui Dieu se montre indigent, lui qui, en soi, n'a besoin de rien ? C'est Dieu, en effet, qui, dans ses membres, demande et reçoit, est aimé ou méprisé. Grâce à cet amour du prochain, comme par un noeud d'amour et un lien de paix, nous retenons et conservons en nous la charité de Dieu et l'unité de l'Esprit. Celui qui n'aime pas son frère, s'éloigne de cette unité spirituelle, il n'aime pas Dieu et ne vit pas de l'Esprit de Dieu, mais de son propre esprit, parce qu'il vit dès lors pour soi et non pour Dieu. Baudouin de Ford - Traité 15 |
BAUDOUIN DE FORD ( ? - 1190)
Né dans le sud-ouest de l'Angleterre, il fit ses études à Exeter, dans le Devonshire, et fut archidiacre de Totnes. Il entra à l'abbaye de Ford en 1169 et fut élu abbé en 1175. Promu à l'évêché de Worcester en 1180, il devint archevêque de Canterbéry en 1184 et accompagna Richard Coeur de Lion à la croisade, au titre d'aumônier du roi. Ses nombreux écrits manifestent une culture très étendue. A noter particulièrement son ouvrage "Du sacrement de l'autel" et ses seize Traités ou Sermons. |
GALAND DE REIGNY |
||
"Ceux qui mettent en pratique ce qu'ils lisent"
|
Invité tout récemment à un repas, un fois à table, je ne cessai plus de m'étonner d'une telle variété de goûts chez les convives. En effet, ce que ceux-ci voulaient, ceux-là le repoussaient. Les uns recherchaient les mets salés, les autres demandaient des aliments non salés. Les plats chauds plaisaient aux uns, les plats froids régalaient les autres. Les uns désiraient qu'on leur donne à boire du vin, les autres qu'on leur serve de l'eau. Les gloutons se retiraient gavés, ceux que tout dégoûtaient effleuraient à peine quelques miettes sur le dessus des plats. * Les convives spirituels sont les liseurs d'ouvrages. Parce que leurs propos sont variés, les uns se délectent dans les divines Ecritures, les autres dans les écrits des philosophes. A ceux-ci plaisent davantage les leçons de la morale, à ceux-là les démonstrations de la logique, voire à certains les enseignements de la physique. Mais la seule et même Ecriture sainte pour les uns est salée, chaude, et comme un vin à boire, parce qu'elle leur apporte et le goût de la véritable sagesse et l'ardeur des désirs célestes. Mais pour les autres elle se montre insipide, froide, et comme de l'eau, parce qu'elle ne leur accorde pas le moindre développement de sagesse spirituelle, ni la moindre ferveur d'amour divin. A vrai dire, une telle nourriture ne rassasie que ceux qui mettent en pratique ce qu'ils lisent. Pareil breuvage vraiment n'enivre que ceux qui, l'esprit transformé, s'écartent des pensées terrestres pour chercher à atteindre les biens du ciel. Mais qui n'agit pas ainsi s'en va, vide et dépourvu. Ce repas, je l'ai dit avoir eu lieu récemment, non dans le passé, parce que c'est à l'église, non à la synagogue, qu'il appartient de connaître les Ecritures. Galand de Reigny - Petit livre de proverbes, 75 |
GALAND DE REIGNY (12ème siècle)
Appartenant à un groupe d'ermites fixés à Fontemoy dans le diocèse d'Autun, Galand fut un fervent partisan du rattachement de la communauté à l'ordre de Cîteaux, lequel eut lieu en 1128. En 1134, le monastère fut transféré à Reigny, dans le diocèse d'Auxerre.
Grand admirateur de Bernard de Clairvaux, Galand lui a dédié ses oeuvres : le Parabolaire, ensemble de 52 récits, généralement assez longs, et le Petit livre de proverbes, ouvrage composé de courtes sentences glosées. Les nombreuses allégories confèrent à ces écrits une variété à la fois plaisante et édifiante. |
BEATRICE DE NAZARETH | ||
"Tel un poisson qui nage"
|
Ainsi en est-il de l'âme qui est amour : l'amour déploie en elle sa souveraineté et sa puissance, qu'elle agisse ou se repose, qu'elle entreprenne quelque chose ou s'abstienne, à l'extérieur comme à l'intérieur d'elle-même, au gré de sa volonté. Tel un poisson qui nage dans un large fleuve ou se repose dans ses profondeurs, tel un oiseau qui vole hardiment vers les hauteurs du ciel, son esprit va et vient librement dans les hauteurs, dans les profondeurs et dans l'abondance des délices de l'amour. La puissance de l'amour a saisi cette âme : il la conduit, la garde et la protège, lui conférant prudence et sagesse, douceur et force de la charité. Cette puissance pourtant, l'amour l'a tenue cachée jusqu'au moment où, par une ascension nouvelle, l'âme est devenue maîtresse d'elle-même, en sorte que l'amour domine en elle sans partage. Il la rend alors si hardie qu'elle ne craint ni homme ni démon, ni ange ni saint, ni Dieu même, en ce qu'elle fait ou ne fait point, dans son mouvement ou son repos. Elle perçoit bien d'ailleurs que l'amour est en elle aussi éveillé et actif quand son corps est en repos que lorsque les labeurs se multiplient. Elle sait et sent que ni le travail ni la souffrance n'importent à l'amour une fois qu'il règne dans l'âme. Mais qui désire parvenir ainsi jusqu'à lui doit le chercher avec crainte et le suivre avec foi, s'y exercer avec ardeur et ne s'épargner ni effort ni peine, en supportant patiemment la gêne et le mépris. De telles âmes doivent tenir pour grandes les plus petites choses, jusqu'à ce que l'amour victorieux agisse en elles souverainement et rende petites les grandes choses, faciles tout labeur, douce toute peine, nulle toute dette. Tout ceci est liberté de la conscience, douceur du coeur, sagesse des sens, noblesse de l'âme, élèvation de l'esprit et commencement de la vie éternelle. C'est, déjà dans cette chair, une vie angélique, dont l'autre vie sera la suite. Daigne Dieu l'accorder à tous ! Béatrice de Nazareth - Les sept degrés de l'amour de Dieu, VI |
BEATRICE DE NAZARETH (vers 1200 - 1268)
Née à Tirlemont, elle fut placée toute jeune, d'abord chez les béguines, puis chez les cisterciennes. Sa vie monastique se déroula successivement dans les trois monastères que son père avait fondés, le dernier étant N.-D. de Nazareth, près de Lierre, dont elle devint prieure. Ses expériences spirituelles et ses écrits nous sont connus par les résumés qu'en a fait son biographe. Un seul petit traité a été jusqu'à présent retrouvé : "Les sept degrés de l'amour de Dieu". Elle y décrit l'ascension de l'âme dans l'amour vers l'union à Dieu. |