Homélie pour le jubilé de diamant de Soeur Marie-Gabrielle
(60 ans de profession monastique) le samedi 10 septembre 2016 |
Lecture de la messe : 1 Jn 4,7-10 ; Jn 3,16-18a
Chère sœur Marie-Gabrielle, Dans la première lettre aux Corinthiens, saint Paul affirme par deux fois, à propos de l’Eucharistie et à propos de la résurrection, qu’il transmet ce qu’il a lui-même reçu. De ce point de vue, toute moniale jubilaire est un saint Paul. Je veux dire par là que toute jubilaire transmet ce qu’elle a elle-même reçu. Les lectures bibliques que vous avez choisies pour célébrer votre jubilé sont en quelque sorte le diamant qui vous a été livré à l’état brut au moment de votre jeunesse monastique et que vous nous transmettez aujourd’hui, ciselé cette fois par soixante années de profession. Je trouve quand même extraordinaire qu’au bout de soixante années d’expérience, vous n’ayez qu’une chose à nous dire. Je ne vous en fais pas le reproche ! Bien au contraire, je vous dis mon émerveillement. Le seul mot que vous nous transmettez, c’est l’amour. J’ai compté. Le mot et le verbe reviennent neuf fois dans les deux lectures, dont huit fois dans la première. Et si le mot lui-même n’apparaît qu’une fois dans l’évangile, il faut rappeler que le texte est très court et qu’il ne parle que d’amour. Ou plus exactement l’amour va avec d’autres mots qui expriment une dynamique : « connaître », « donner », « envoyer », « manifester », « sauver » et finalement « vivre » : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». Voilà mon émerveillement. Au bout de soixante ans de vie monastique, vous auriez pu, à travers d’autres textes bibliques, nous transmettre une sorte de manuel de la moniale parfaite. Vous préférez peut-être nous dire quel a été votre combat, car il est celui de tous les disciples du Christ. Votre combat a été celui de l’amour. Et contrairement à ce que laissent croire les romans à l’eau de rose, l’amour est une construction qui ne va pas sans lutte. Mais, dans cette histoire, nous ne sommes pas perdants, précisément parce que le combat est inégal. Je veux dire par là que c’est Dieu qui nous a aimés le premier. Nous ne sommes pas à égalité avec lui. Mais ce n’est pas un handicap. C’est au contraire notre richesse. Nous avons tout à recevoir de lui et il est même allé jusqu’à se manifester parmi nous : « Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui ». La même parole est reprise à la fin du texte mais cette fois négativement en quelque sorte : « Dieu a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. » Le mot péché est le dernier de la première lecture, tout comme si nous ne pouvions prendre conscience du péché que dans la mesure où nous sommes entrés dans la dynamique de l’amour. Voilà encore ce message que nous recevons : le péché n’est pas le manquement à une loi mais il est un déficit d’amour. Une entreprise financièrement déficitaire va à sa ruine matérielle. Une communauté chrétienne en déficit d’amour perd son identité, tant il est vrai que l’amour est la seule réalité qui fait vivre authentiquement l’Église du Christ. Sœur Marie-Gabrielle, puis-je me laisser aller à une petite indiscrétion ? Les circonstances m’y autorisent ! Quand vous m’avez fait connaître les textes que vous aviez choisis pour cette Eucharistie, à un certain moment vous m’avez fait passer un petit examen. C’est à propos de la dernière phrase de l’évangile. Vous teniez à ce qu’il se termine bien par cette parole : « Celui qui croit en lui échappe au Jugement. » Et vous m’avez dit : « Il y a un passage d’évangile qui illustre parfaitement cette parole. » Et vous avez ajouté sous forme interrogative : « C’est lequel ? ». Comme vous ne vouliez quand même pas que je perde la face, vous avez précisé aussitôt : « C’est dans l’évangile de Luc. » En regardant vos visages, je vois que vous êtes toutes en train de chercher… et de trouver ! C’est bien sûr l’histoire du bon larron. Jésus ne lui demande rien, pas même le nombre et la nature de ses péchés. Le bon larron n’était pourtant pas un enfant de chœur ! Mais à celui qui lui demande de se souvenir de lui dans son Royaume, Jésus adresse la seule parole de miséricorde que nous aimerons tous entendre à la fin de notre vie terrestre : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ! ». Il n’y a en effet pas de jugement pour celui qui s’ouvre à cette miséricorde dont nous n’avons pas le droit de désespérer (RB 4,74) : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » Avec sœur Marie-Gabrielle, rendons grâces à Dieu pour ces soixante années de fidélité, dont l’amour est le premier et le dernier mot ! Père Jean-François Baudoz
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